La triple faute des grandes banques privées
La triple faute des grandes banques privées IL EST GRAND TEMPS QUE LES POPULATIONS REPRENNENT LE DROIT D"ASSURER LEURS DESTINS, DU BALAI LES BANQUES PRIVEES, AUX TRIBUNAUX POPULAIRES, QU'ON EN FINISSE DE CE DESPOTISME 'LEGAL' par Damien Millet et Eric Toussaint |
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Mondialisation.ca, Le 27 mars 2008 |
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Depuis
août 2007, les banques nord-américaines et européennes sont sous les
feux de l’actualité à cause de la crise très sévère qu’elles
traversent, et qu’elles font traverser au système économique néolibéral
dans son ensemble. Le montant actuel des dépréciations d’actifs
auxquelles elles ont dû procéder dépasse 200 milliards de dollars.
Plusieurs services d’études des banques et des économistes chevronnés
considèrent que la facture dépassera 1000 milliards de dollars (1). Comment
les banques ont-elles pu construire un montage de dettes aussi
irrationnel ? Avides de profits, les organismes de crédits
hypothécaires ont prêté à un secteur de la population déjà fortement
endetté. Les conditions de ces prêts à haut rendement (pour le prêteur)
constituent une véritable arnaque : le taux est fixe et raisonnable au
cours des deux premières années puis augmente fortement ensuite. Les
prêteurs affirmaient aux emprunteurs que le bien qu’ils achetaient
gagnerait rapidement de la valeur vu l’augmentation des prix du secteur
immobilier. Le hic, c’est que la bulle du secteur immobilier a fini par
exploser en 2007 et les prix ont commencé inexorablement à baisser.
Comme le nombre de défauts de paiement s’est considérablement accru,
les organismes de crédit hypothécaire ont éprouvé des difficultés à
rembourser leurs dettes. Les grandes banques, pour se protéger, ont
refusé de leur octroyer de nouveaux prêts ou ont exigé des taux
beaucoup plus élevés. Mais la spirale ne s’est pas arrêtée là car les
banques avaient acheté les créances hypothécaires en très grande
quantité, et largement hors bilan en créant des sociétés spécifiques
appelées Structured Investment Vehicles (SIV), qui finançaient l’achat
de créances hypothécaires à haut rendement transformés en titres (CDO,
Collateralized Debt Obligations). A
partir d’août 2007, les investisseurs ont cessé d’acheter les
commercial papers émis sans garantie par les SIV dont la santé et la
crédibilité s’étaient fortement détériorées. En conséquence, les SIV
ont manqué de liquidité pour acheter les crédits hypothécaires titrisés
et la crise s’est amplifiée. Les grandes banques qui avaient créé ces
SIV ont dû assumer les engagements de ceux-ci pour éviter qu’ils ne
tombent en faillite. Alors que jusque-là les opérations des SIV ne
faisaient pas partie de leur comptabilité (ce qui leur permettait de
dissimuler les risques pris), elles ont dû reprendre dans leur bilan
les dettes des SIV. Résultat
: panique à bord ! Aux Etats-Unis, 84 sociétés de crédits hypothécaires
ont fait faillite ou cessé partiellement leur activité entre le 1er
janvier et le 17 août 2007, contre seulement 17 sur toute l’année 2006.
En Allemagne, la banque IKB et l’Institut public SachsenLB ont été
sauvés d’extrême justesse. Récemment, l’Angleterre a dû nationaliser la
banque Northern Rock tombée en faillite. Le 13 mars 2008, le fonds
Carlyle Capital Corporation (CCC), connu pour sa proximité affichée
avec le clan Bush, s’est effondré : ses dettes représentaient 32 fois
ses fonds propres. Le lendemain, la prestigieuse banque états-unienne
Bear Stearns (5e banque d’affaire aux Etats-Unis), à cours de
liquidités, a appelé à l'aide la Réserve fédérale des Etats-Unis (Fed)
pour obtenir un financement d'urgence. Elle sera rachetée par la banque
JP Morgan Chase pour une bouchée de pain. Plusieurs
segments du marché de la dette constituent des constructions bancales
en train de s’effondrer. Ils entraînent dans leurs déboires les
puissantes banques, les hedge funds, les fonds d’investissement qui les
avaient créés. Le sauvetage des institutions financières privées est
réalisé grâce à l’intervention massive des pouvoirs publics.
Privatisation des bénéfices, socialisation des pertes sont encore une
fois de mise. Mais
une question se pose : pourquoi les banques, qui aujourd’hui n’hésitent
pas à effacer des dettes douteuses par dizaines de milliards de
dollars, ont-elles toujours refusé d’annuler les créances des pays en
développement ? Elles font là la démonstration que c’est parfaitement
possible et tout à fait nécessaire. Rappelons qu’à l’origine des dettes
actuelles réclamées par les banques à ces pays, on trouve des
dictatures criminelles, des régimes corrompus, des dirigeants fidèles
aux grandes puissances et aux créanciers. Les grandes banques ont prêté
sans compter à des régimes aussi peu recommandables que ceux de Mobutu
au Zaïre, de Suharto en Indonésie, aux dictatures latino-américaines
des années 1970-1980 sans oublier le régime d’apartheid en Afrique du
Sud. Comment peuvent-elles continuer d’infliger le joug de la dette à
des peuples qui ont souffert de régimes dictatoriaux qu’elles ont
elles-mêmes financés ? Sur le plan juridique, de nombreuses dettes
odieuses figurent dans leurs livres de compte et n’ont pas à être
remboursées. Mais les banques continuent d’exiger leurs remboursements. Rappelons
également que la crise de la dette du tiers-monde a été provoquée en
1982 par la hausse brutale et unilatérale des taux d’intérêts décidée
par la Fed. Auparavant les banques privées avaient prêté à tour de bras
à taux variable à des pays déjà surendettés, finalement incapables de
faire face. Aujourd’hui, l’histoire se répète, mais au Nord cette fois
et d’une manière spécifique : les ménages surendettés des Etats-Unis
sont devenus incapables de rembourser leur emprunt hypothécaire à taux
variable car la bulle de l’immobilier a éclaté. Les
effacements de dette que les banques réalisent donnent raison à tous
ceux qui, comme le CADTM, revendiquent une annulation de la dette des
pays en développement. Pourquoi ? Parce que la dette à long terme des
pouvoirs publics du tiers-monde envers les banques internationales
atteignait 181,9 milliards de dollars en 2006 (2) . Depuis août 2007,
elles ont déjà dû effacer un montant bien supérieur, et ce n’est pas
fini… Les grandes banques privées ont donc triplement fauté : - elles ont construit de désastreux montages de dette privée qui ont conduit à la catastrophe actuelle; -
elles ont prêté à des dictatures et ont obligé les gouvernements
démocratiques qui ont succédé à rembourser jusqu’au dernier centime
cette dette odieuse ; -
elles refusent d’annuler des dettes des pays en développement alors que
leur remboursement implique une détérioration des conditions de vie des
populations. Pour
toutes ces raisons, il faut exiger qu’elles rendent des comptes sur
leurs agissements au cours des décennies passées. Les gouvernements des
pays du Sud doivent réaliser des audits de leur dette, comme le fait
l’Equateur aujourd’hui, et répudier toutes leurs créances odieuses et
illégitimes. Les banquiers leur démontrent que c’est parfaitement
possible. Il s’agira du premier pas pour rendre à la finance le rôle
qui lui revient, celui d’outil au service de l’être humain. De tous les
êtres humains. |