Dans quel monde vivons nous
UN MONDE POUR UN PETIT NOMBRE Compte tenu des logiques décrites jusqu'à présent, quel type d'espace reste-t-il aux êtres humains ? Dans le contexte décrit, il ne reste aucun espace « humanisant ». Le chacun pour soi est devenu le mot d'ordre de tout individu, groupe social, organisme, pays, ville, région. On assiste à l'affirmation de l'individualisme à outrance, comme si la survie était la seule logique comprise et assimilée par tous, dans toutes les parties du monde. Désormais, partout, chaque fois que les pouvoirs publics tentent, ce qui est rare, d'introduire des mesures visant à affaiblir les fragmentations créées par et autour des intérêts corporatifs, la réaction des individualismes de groupe et des sujets forts est toujours plus violente, poujadiste, à commencer, souvent, dans les pays développés, par les syndicats des groupes sociaux privilégiés. |
L'individualisme est une conséquence directe des stratégies basées sur l'itinéraire individuel d'optimalisation de l'utilité personnelle. Partout, on enseigne que le chemin de la survie et du succès passe par la maîtrise de l'environnement dans lequel on vit, grâce à ses propres capacités, individuelles, de se donner les moyens pour atteindre ses propres objectifs. Dans cette logique, l'éducation et la formation sont des instruments puissants que chacun doit chercher à mettre au service de son potentiel individuel, tout au long de la vie.
On accepte comme inévitable l'explosion des individualismes aveugles. L'agressivité devient l'expression « sociale » la plus cohérente. On perd la confiance dans les vertus et dans l'utilité de la reconnaissance de l'autre. La coopération avec l'autre est devenue un instrument opportuniste au service de la stratégie de la survie
Le scepticisme se généralise même parmi les jeunes. Nombreux d'entre eux sont devenus incapables de croire que les autres peuvent les regarder et se comporter envers eux avec respect, générosité, amitié, esprit de coopération, avec une volonté d'exister et de faire ensemble. En outre, on a l'impression que nous avons tous perdu confiance dans les institutions collectives.
Le scepticisme envers les institutions parlementaires, de la justice, de l'administration, semble être devenu une mode universelle, un jeu auquel on s'abandonne même avec complaisance. Un certain fatalisme a pris la place de la culture des projets.
L'idée d'un monde pour un petit nombre fait désormais partie des visions et de la culture des groupes dirigeants actuels. C'est comme si nous étions retournés à l'époque de la « naturalité » des divisions entre nobles et plébéiens, entre hommes libres et esclaves.